jeudi 25 septembre 2008

Mon premier texte de chanson

Je devais avoir 22 ans, ma soeur revenait du Viet-Nam où elle était allée adopter son fils, et elle m'a raconté, photos à l'appui, ses visites aux orphelinats, quelque peu semblables à des courses au supermarché. Parmi ces photographies, un visage qui ne me quittera jamais...


On a refermé derrière elle
Elle n'a même pas vu le soleil
Le coeur ailleurs, à l'intérieur
Mais un autre l'attend dans une heure

Elle revoit ses yeux pleins d'espoir
Et son sourire un peu hagard
Son air de dire "Emmène-moi
Je suis pour toi"

Il lui a tendu les bras
Elle a été toute sa joie ce jour-là
Un an de vie sans amour
Elle aurait pu etre son toujours, son toujours

Elle l'a senti différent
Pis il était un peu trop grand
C'était pas lui son petit ange
Elle lui a pas donné sa chance

Comme s'il avait choisi sa vie
Sa famille, ce lieu pourri
Sa naissance, ses chromosomes
Sera-t-il un jour un homme?

Tout ce qu'elle a pu pour lui
Faire semblant une après-midi qu'il était son fils
Puis partir et oublier
Ou bien du moins essayer, essayer

Un autre enfant a pris sa place
Il a occupé tout l'espace
Le destin lui a offert la chance
D'un petit plus sur la balance

Celui qui était différent
Mourra peut-être dans deux ans
Sans jamais avoir découvert
La tendresse d'une mère

Et dans son esprit trop simple
Il garde l'image de ces femmes
Toutes mamans improbables
Sur sa joue coule une larme


mardi 23 septembre 2008

Texte très perso, genre d'autobiographie commencée pour un devoir



(Le principe est que chaque chapitre traite d'un de mes anniversaires, en s'appuyant sur une photo de famille)









Un an









La photo en noir en blanc, aux bords dentelés, montre un bébé joufflu, couvert d’un bonnet tricoté main, sur les genoux d’un homme souriant. L’homme fixe l’objectif, mais le bébé n’est intéressé que par le gâteau sur la table. Choisi et commandé pour la circonstance, c’est une génoise fourrée de crème pâtissière, parsemée d’éclats de noisettes et recouverte d’un glaçage blanc du plus bel effet. Dessus, est écrit d’un trait voluptueux et chocolaté : « Joyeux Anniversaire Stéphanie-Jacqueline J’ai 1 an ». Une belle bougie trône au centre, blanche, épaisse, torsadée, et sa flamme est parfaite. Bref, le gâteau d’anniversaire exemplaire, comme on en voit dans les livres d’enfants.

Le monsieur qui prête ses genoux, c’est mon parrain. Le bébé, c’est moi. Je regarde la table d’un oeil circonspect. Celui qui me prend en photo ne m’intéresse pas le moins du monde. M’a-t-il seulement appelée, mon père, pour que j’orne de mon sourire ou de mon regard une si précieuse photographie ? Ou bien voulait-il seulement immortaliser la pâtisserie qui lui avait certainement coûté très cher ? Papa prend donc une belle photo de l’évènement, et me voilà, trente et un ans plus tard, à me demander si je dois me réjouir d’avoir eu un si beau gâteau d’anniversaire, ou bien me désespérer de n’avoir pu lui ravir la vedette.



« Allez, boude pas ! T’es dessus non ? S’il avait voulu une photo du gâteau seul, il en aurait fait un gros plan. Ça lui est arrivé souvent, par la suite. »

Comme d’habitude, la voix de ma conscience m’intime le silence. Je n’ai toujours pas déterminé si elle jouait dans mon camp ou en adversaire. Elle est toujours à me contredire, à me remonter les bretelles, sur un ton que je n’admettrais de personne pour peu qu’il soit en chair et en os. Jamais un mot gentil, jamais une approbation ; parfois un vague encouragement qui tient plus du coup de pied aux fesses que de la parole réconfortante. Tantôt je me la représente en cruel maître Samourai, tantôt en grande punaise dont la seule ambition est de m’écraser. Heureux soient ceux dont la conscience a le doux visage d’un ange ou d’un criquet...



Revenons à la photographie. C’est l’été, je le sais parce que je suis née le 16 août, mais on ne s’en rend pas compte au premier coup d’oeil. Le soleil, en nuances de gris, rend moyennement bien. La plupart de mes photos d’enfance sont en noir et blanc. Peut-être que la couleur coûtait trop cher à l’époque ? Enfin, je dis « à l’époque », mais c’était pas il y a cent ans non plus ! Pourtant, tout a changé si vite en cette période, entre 1970 et 1980... Ma soeur aînée m’a raconté que dans mes plus jeunes années, j’avais connu le beurre à la pesée, les poissons dans le papier journal, les bouteilles consignées... Les « hyper »marchés n’étaient encore que « super », et les caddies se baladaient librement sur les parkings dépeuplés. Traitez-moi de folle, mais je regrette de n’être pas née un peu plus tôt, quand il y avait encore des champs au milieu des villes, des voitures qui restaient au garage, des bus aux sièges en plastique orange... Je suis une grande nostalgique de l’avant-moi. Je ne peux m’empêcher de relier le début de la dégénérescence de notre civilisation à mon arrivée sur terre.

J’ai toujours eu le sentiment d’être de trop. Je suis un « accident ». Comprenez : mes parents n’avaient pas prévu ma conception. Je suis même un double accident : point de recours à la procréation assistée comme pour mes soeurs. Qu’est-ce qui a déraillé, là-haut, je n’en sais rien, mais voilà, amen, j’ai débarqué là où on ne m’attendait pas. Est-ce que cela me confère un destin particulier, ou au contraire, une navrante prédisposition à mettre les pieds dans le plat ?..

Papa avait quarante-cinq ans, et maman, quarante-deux, lorsque le docteur s’est exclamé « Félicitations ! Madame est enceinte ! De trois mois ! Quelle bonne surprise... non ?! » .

Madame a failli tomber dans les pommes. Elle a protesté : « Quoi ?! Mais c’est pas vrai, c’est impossible, enfin ! Je suis ménopausée depuis deux ans ! ». Le docteur a souri ; évidemment, il ne savait pas quoi répondre. Sans doute pensait-il aux merveilleux caprices de la biologie, un monde infini à explorer pour les savants de son espèce, et surtout, à l’éternelle et bienveillante Providence qui couvre les incapables. Ma mère est rentrée chez elle, le regard absent et la boule au ventre. Heureuse ou effondrée, je ne sais pas. Sûrement les deux. J’imagine qu’elle a passé le reste de la journée à tourner en rond, tourmentée par mille questions, emportée tout à tour par des bouffées de joie et des élans de panique. Incapable de penser à autre chose, s’asseyant sans cesse pour s’exclamer « C’est pas vrai ! », ignorant le téléphone qui sonnait : si c’était mon père, elle ne saurait lui cacher la vérité, qui méritait tout de même un face à face pour être dévoilée. Ne sachant peut-être même pas si elle la dévoilerait, ou si elle ferait disparaître le bébé en secret.

Je sais seulement que dès que mon père est rentré, elle lui a appris la nouvelle, sans manières, brutalement. Les petits chaussons de bébé dans une boîte cadeau, le test de grossesse empaqueté, ce sont des frivolités réservées aux parents qui ont vraiment attendu un enfant. Moi personne ne m’attendait, on m’a juste reçue, comme un bébé qui tombe du ciel et qu’un pauvre malheureux, au sol, rattrape par réflexe tout en sachant déjà que ce geste va probablement causer une montagne de soucis indésirables. On ne m’a pas « attendue ». Voilà que je réalise en écrivant pourquoi je suis toujours désespérément en retard, pourquoi je me « fais attendre ».

Papa a vacillé. Dans « chancelé » il y a « chance », et ce n’est sûrement pas ce mot qu’il avait à l’esprit. Par contre, « vacille » ressemble à « bacille » et la notion de microbe me paraît plus adéquate. Il s’est appuyé au mur de sa chambre, et dans un éclair de lucidité, a lâché : « Oh m... ! Mais je vais devoir travailler combien d’années en plus pour l’élever ?! Pffff ! Je suis pas encore à la retraite ! »

Après... Ont-ils passé la soirée à en discuter à voix basse, à peser le pour ou le contre ? Se sont-ils disputés ? Ont-ils ouvert une bouteille de champagne pour fêter l’évènement, rejoignant très vite le parcours des parents « normaux », ceux qui ont désiré leur bébé ? Combien de temps ont-ils attendu avant d’informer mes soeurs ? Leur ont-ils demandé leur avis avant de décider si la famille me gardait ou pas ? Entre nous, je n’y crois guère. Ce n’est pas leur genre. Non, mais j’oublie qu’ils étaient d’autres parents, à ce moment-là. Des parents de quarante ans avec deux filles en fin d’adolescence.