Mauvaise humeur. Dispute. Mots qui dépassent ma pensée et qui se matérialisent dans l'air, blessant ceux que j'aime. Sentiment de rejet. Douleur.
Je suis une boule de rage, une pelote de détresse. Je ne suis plus capable de raisonner, je ne suis qu'un chaudron d'émotions bouillonnantes.
Je suis une créature à cent têtes dans une grotte sombre et humide. Face à moi, un paquet noir, luisant et grouillant. Un énorme serpent à cent têtes, lui aussi, s'enroule sans fin autour d'une chose qui ne peut être que mon coeur. Il me défend de l'approcher. Si j'avais assez de courage, assez de confiance en moi... Si j'avais eu assez d'amour, je pourrais attaquer toutes ces gueules claquantes, les tordre, en un instant, de mes mâchoires centuples et assassines.
Seulement, je reste là, inanimée. Mes têtes, lasses et affolées, préfèrent regarder ailleurs, comme un chien que l'on a roué de coups de pieds mais qui ne sait pas s'en aller. Les serpents, vainqueurs d'avance, sifflent et crachent de plus belle. Sans mon coeur, mes têtes ne peuvent rien. Aurai-je un jour assez de colère pour décapiter ce monstre, et démêler son corps, geôlier depuis si longtemps de mon âme enfantine terrorisée?
Je vais reculer de quelques pas, laisser la bête se calmer et savourer son triomphe. Comme toujours, les crânes reptiliens s'endormiront, abandonnés et repus, sur ce bout de moi trop sanguinolent pour vivre sans carapace. Je vais laisser les nuages de tempête se dissiper. Peut-être laisserai-je, auparavant, le monstre me délester d'une tête ou deux. Qu'il arrache celle qui commande les autres, qu'il fasse de moi un corps sans coeur et sans émotions. Ma dichotomie vécue depuis l'enfance me permet d'affirmer ceci : le cerveau est le siège des sentiments et de la raison, mais le coeur est le seul endroit possible pour abriter une âme vivante.
